« Nous n’avons pas le choix… », « Le gouvernement est forcé de… », « Les expert affirment que… ». Depuis le début de la pandémie, on nous présente l’imposition des diverses mesures sanitaires comme étant un malheureux mais inévitable impératif que l’on devra stoïquement et collectivement supporter jusqu’à ce que la crise passe et que tout redevienne normal. Il faut remettre en question ce narratif et offrir une vision alternative : le sanitarisme n’est pas une nécessité, c’est une idéologie qui, à une vitesse vraiment fulgurante, est devenue l’idéologie dominante dans notre société. On entend par idéologie dominante une vision du monde imposée par les classes dominantes de la société. Dans ce cas-ci, il est aisé de voir que l’ensemble de la classe politique, des médias et une majeure partie des intellectuels promeuvent le discours sanitariste comme l’unique façon de penser, de réfléchir ou de réagir à la pandémie. Le sanitarisme cherche agressivement à se pourvoir du monopole de ce qui peut être dit ou fait par rapport au virus et n’hésite pas à écraser toute forme de discours alternatif, ce qui est typique d’une idéologie dominante. Les accusations de conspirationnisme ou d’anti-science sont devenues les mécanismes de défense pré-programmés du sanitarisme face n’importe quelle idée qui ne respecterait pas ses dogmes.

Le sanitarisme se caractérise aussi par un recours décomplexé à un autoritarisme nouveau genre qui non seulement s’exerce au niveau idéologique mais aussi dans le contrôle disciplinaire précis et minutieux des corps humains et des rapports humains. Ceux-ci sont perçus comme pleinement acceptables que lorsqu’ils se font par l’intermédiaire aseptisé et sans risque d’un écran, donc que lorsqu’ils sont désincarnés du corps. Celui-ci peut être « purifié » par le vaccin, et les individus qui refusent la purification sont considérés comme des menaces à la société, et ce malgré la panoplie d’arguments scientifiques qui démontrent les limites de la vaccination comme outil d’immunité collective. Ce contrôle des corps est sans cesse justifié par une peur si systématiquement cultivée par les médias et les politiciens qu’elle est devenue comme la répétition d’un mantra qui occupe tout l’espace narratif social. Soumettez-vous au contrôle des corps ou vous serez malade ou puni.

Certaines des valeurs censées être fondamentales dans les sociétés occidentales modernes sont maintenant redéfinies ou tordues par le sanitarisme. Ainsi, considérons la citoyenneté. Historiquement souvent circonscrite (par exemple, pour être citoyen il faut être un riche homme blanc), les combats des féministes ou des anti-ségrégationistes ont rendu la citoyenneté universelle et supposément inviolable. Cependant, le passeport vaccinal vient remettre cela en question en créant une classe de sous-citoyens, les non-vaccinés, auxquels on enlève sans hésitation des droits et des libertés. Ceux-ci sont confisqués en échange d’un « consentement » forcé au vaccin, ce qui revient à forcer les individus à choisir entre la liberté de circulation ou la souveraineté sur leur propre corps. Le sanitarisme monnaye les libertés l’une pour l’autre.

L’appel à l’autorité scientifique est aussi central dans le sanitarisme, mais cette science tend souvent à s’éloigner drastiquement de l’authentique méthode scientifique. Celle-ci se caractérise par une méthode d’essais et erreurs, une remise en question critique de ses présupposés et par un débat vigoureux entre parties prenantes qui mène rarement à un consensus dominant. Pour le sanitarisme, la science devient un totem tout puissant qui ne se trompe jamais et qui force un consensus dénué de remise en question et d’examen critique. Les scientifiques ou médecins qui ne se plient pas à ce consensus sont écrasés par diverses méthodes, comme par exemple ces médecins menacés d’être radiés de l’ordre s’ils persistent à exprimer leurs propos considérés comme hérétiques. Ce véritable scientisme, version naïve, dogmatique et pervertie de la science, s’assoit sur un formidable appareil technologique présenté comme la seule façon rationnelle de combattre la maladie et qui cache mal ses lobbys, ses intérêts financiers et son pouvoir technocratique.

Le sanitarisme n’est pas un inconvénient à supporter le temps que la pandémie soit sous contrôle pour qu’ensuite tout redevienne normal. Le sanitarisme, d’abord une réaction improvisée à un virus, se transforme de plus en plus clairement en un véritable projet social. Il propose des changements en profondeur des valeurs qui ont définies la société libérale et ses institutions. Le désir tout à fait compréhensible de sauver des vies sert maintenant de cheval de Troie pour l’expression d’un contrôle et d’un autoritarisme qui dépasse les périmètres d’une intervention strictement sanitaire. La suppression des valeurs de liberté et de souveraineté des personnes sur leur propre corps ne s’exprime pas de façon spectaculaire en nombre de morts par jour, mais à long terme les dégâts peuvent être terribles pour la société.

Il est extrêmement inquiétant de voir que le sanitarisme est largement et activement appuyé par la classe intellectuelle. Celle-ci a historiquement comme principale fonction de stimuler le débat public et académique en brisant les frontières rigides des idées dominantes. Ce rôle de réflexion critique est presque totalement abandonné depuis bientôt deux ans au moment même où on en a le plus cruellement besoin. Comme la classe intellectuelle est particulièrement présente au sein des médias, de l’État, des milieux académiques, des partis politiques, des syndicats et des organisations militantes, le silence des intellectuels se traduit par le silence de toutes ces institutions. Jamais le gouvernement québécois n’a-t-il opéré dans un espace narratif comportant aussi peu friction que ce que l’on voit actuellement. La classe intellectuelle doit collectivement se regarder dans le miroir et se poser de sérieuses questions quant à son appui à une idéologie qui devient rapidement hors de contrôle et qui pousse la société vers des extrêmes de plus en plus dystopiques. Cet événement est exceptionnel, les dangers sont partout, la tâche est énorme, le silence ou l’appui passif ou actif au sanitarisme n’est plus moralement ou intellectuellement admissible. Il faut arrêter de cesser de réfléchir.

Philippe Langlois, politologue